🎨VéLug - L'Artiste visuel

🎨  Je suis un escroc. Une fraude. Une imposture. Et pourtant...

Je ne sais pas dessiner. Je ne sais pas peindre. Mon coup de crayon est celui d'un enfant de cinq ans sous Lexomil. Quand j'ouvre un carnet de croquis, il se réfère à lui-même, honteux d'avoir été choisi par moi. Les pinceaux me regardent de travers. Et pourtant, j'ai l'audace, que dis-je, le culot, de me dire « artiste visuel ».

Oui, je suis une artiste. Une artiste qui ne touche pas à la gouache, qui ne rêve pas en aquarelle, et qui n'a jamais ressenti le besoin urgent de sentir l'odeur du fusain sur les doigts. À la place, je rêve en photo, collage et en pixels. Je fouine, j'assemble, j'incruste, et je façonne avec des invites. Je compose avec des textures numériques, des collages virtuels, des fragments d'émotion distillés à travers des intelligences artificielles.

Et c'est là que les puristes s'étouffent dans leur café noir. "Ce n'est pas de l'art. C'est de la triche. « C'est une feignasse sans don mais avec un ordinateur. »

Je les entends. Je les imagine, indignés, en train de marmonner dans leur barbe à propos de « vraie création » et de « souffrance noble de l'artiste authentique ». Tu sais, celui qui passe dix ans à maîtriser une technique millénaire. Celui qui, à leurs yeux, mérite le titre d'artiste. Pas moi.

Mais justement. Je les invite à tester l'exploit de créer des visuels mettant en scène des personnes atypiques assistées par des IA. L'IA, ce n'est pas magique : comme les Hommes, l'IA est biaisé. 

Il faut arrêter de fantasmer : les intelligences artificielles sont pas "neutres". Elles sont conçues par des hommes blancs cisgenres hétérosexuels dans des bureaux bien lisses de la tech. Des clones, programmant des clones. Et forcément, ce qu'ils appellent « normal » ou « beau », c'est leur normal et beau à eux .

Les bases de données qui nourrissent ces IA sont pleines de clichés, de peaux blanches, de corps normés, de couples hétéros, de physiques valides. Et quand tu demandes un visuel queer, racisé, gros, handicapé, bref, non conforme à leur norme ? L'IA bugue. Au mieux, elle te propose un personnage désinvolte digne de la science-fiction, ou te rappelle au placard en te disant que le contenu demandé n'est pas conforme à ses règles d'utilisation. Parce qu'elle n'a tout simplement jamais vu ces corps-là, ces couples-là, ces physiques-là. On ne les lui a pas montrés. Elle a été dressée à ignorer les personnes atypiques qui pourraient déranger par leur non-conformité.  

De mon point de vue, ça n'est pas un bug. C'est un choix. Une standardisation violente, polie, invisible, et donc bien plus dangereuse. Créer ce type de visuels demande donc un travail acharné de contournement des carcans imposés par les développeurs. Il faut quotidiennement hacker l'IA. Et ça, si ça n'est pas un don, c'est à minima des compétences qui s'acquièrent par un long et dur labeur, empreint de frustration.

Et puis, peut-être que l'art, ce n'est pas seulement une question de technique. Peut-être que c'est une question de regard. De point de vue. D'intuition. D'histoire à raconter.

Moi, je ne trace pas. Je photographie. Je combine. Je déconstruis. Je recompose. Je donne naissance à des images qui n'existaient pas avant, à partir d'un regard singulier sur le monde. Je tord les algorithmes jusqu'à ce qu'ils traduisent ma réalité. Je passe des heures à affiner un collage numérique, à ajuster une lumière irréelle, à chercher le détail qui fera basculer l'image de "jolie" à "sublime". Parfois, je rate, parfois, je touche juste.  

L'IA est pour moi un pinceau de l'ère moderne. Je ne peins pas avec mes mains, je peins avec mes idées et mes mots. Mon art, c'est un art de la direction. De l'intention. De l'obsession. C'est une chorégraphie entre moi et la machine, un pas de deux où je reste la meneuse. L'IA ne crée rien sans moi. Elle propose. Je dispose. J'ajuste sans cesse.

Je suis née à la bonne époque. Une époque où les outils se démocratisent. Où la créativité ne passe plus seulement par l'apprentissage de gestes codifiés, mais par la capacité à détourner, à subvertir, à oser hybrider les genres. Mon art est un art mutant, numérique, militant. Il est queer friendly, il est noir, il est trash, il est tendre. Il est vivant.

Alors oui, je suis un escroc. Mais un escroc avec du style. Et de la vision.

Et si c'était ça, être artiste aujourd'hui ?